NOUVEAU TEXTE: "A PROPOS DES 21 MESURES POUR L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES DE LA COMMISSION VILLANI"

 

Sur le livre de Maryline Baumard :
La France enfin première de la classe

 

 

         Maryline Baumard, journaliste spécialiste des questions d’éducation et responsable de ce secteur au journal Le Monde, a publié récemment un document très intéressant dont je donne le titre ci-dessus. On n’y trouve d’abord un bilan des évaluations effectuées par différents organismes dont celles du Programme international pour le suivi des acquis des élèves sous l’égide de l’OCDE, les évaluations PISA. Le bilan n’est pas très glorieux pour la France, (mais je pense que tous ceux qui viennent sur ce site le savent déjà). Comment s’en sortir ? Maryline Baumard propose une approche plus méthodique de l’enseignement, plus scientifique, en copiant, par exemple la médecine qui a déjà effectué sa mue en allant dans ce sens. Et pour apporter sa contribution à cette approche elle a sélectionné un ensemble d’expériences conduites en France, aux Etats-Unis et ailleurs dont la communauté éducative pourrait, et même devrait, s’inspirer. On y trouve les résultats de recherches à caractères scientifiques récentes relevant notamment des neurosciences, des évaluations effectuées sur des expériences pédagogiques innovantes et les propositions de divers chercheurs très impliqués. Ce n’est pas un travail de pédagogue. C’est un travail de journaliste particulièrement important au niveau de la recherche et de la qualité de la documentation, que, justement, un enseignant prisonnier de ses engagements pédagogiques n’aurait pas su faire. Une journaliste vraiment motivée par le sujet. Hé oui, l’école a aussi  besoin des journalistes !

                  Alors, nous le savons, le problème révélé par les évaluations récentes est toujours celui de l’accès au savoir lire-écrire-compter. A cet égard la France s’impose de plus en plus, malgré les réformes, comme une championne des inégalités, alors que dans d’autres pays les réformes engagées s’avèrent efficaces. Pourtant, en lisant notamment le livre de Maryline Baumard, je constate qu’en France, depuis déjà quelques années, la quantité d’initiatives individuelles lancées pour relever le défi de l’école, par des médecins, des psychologues et des chercheurs dans les différentes disciplines concernées, est vraiment importante. Donc sous son couvercle, malheureusement trop lourd, la marmite bout.  Pour sortir notre système éducatif de son impasse il faut s’en s’inspirer, c’est incontestable. Elles constituent une partie importante des éléments à prendre en compte.  Je n’hésite pas à l’affirmer. Mais ce ne sera pas suffisant. La clé de leur réussite est ailleurs. Cà aussi je l’affirme. Je constate en effet qu’aucun de ces chercheurs n’émet l’hypothèse que les enfants puissent ne plus avoir réellement envie d’apprendre à lire, à écrire et à compter, qu’ils puissent venir en classe dans l’attente d’autre chose, car, à 5 ans, le besoin de découvrir, d’apprendre les a déjà conduit à expérimenter d’autres moyens, moins exigeants en investissements personnels et, immédiatement, beaucoup plus performants. Une attente en général inconsciente, plus ou moins forte ou surtout plus ou moins visible selon les origines et la pression des exigences familiales, sociales et éducatives, mais toujours bien réelle, qui fait que, finalement, pour la majorité des enfants, peut-être même la quasi-totalité, l’engagement dans l’apprentissage de l’écrit s’effectue beaucoup plus par docilité que par motivation. Il faut trouver les moyens de réorienter cette attente vers l’écrit. Je ne comprends pas ce défaut dans les travaux de recherche. Pourtant, jusqu’au niveau du collège, de la 3ème et même souvent au-delà, tous les enseignants constatent que les motivations pour l’apprentissage de l’écrit se sont fortement érodées.

          Le travail de M. Baumard, m’a donc rappelé quelques souvenirs, et inspiré que les réflexions que je livre ci-dessous.

         Ancien enseignant de mathématiques notamment en collège (statut de PEGC) j’ai, si je peux dire, « bénéficié » d’une expérience pédagogique originale. Je fais aussi de la photographie, (photographe militaire en 1969-70 puis « amateur » ; peut-être même un peu plus mais sans être vraiment professionnel). Une activité qui coûte cher et m’a conduit à enseigner, en heures supplémentaires, dans un centre associé au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers), comme chargé de cours en formation de base : 5 heures par semaine pendant une dizaine d’années. Je prenais en charge des groupes de 12 à 28 adultes, majoritairement âgés de 25 à 40 ans mais quelquefois proches de la cinquantaine, désireux de reprendre des études pour accéder ensuite aux diplômes du CNAM, (le premier se situant à bac + 2). Après positionnement les élèves étaient répartis en 3 groupes et je devais les amener en 3 ; 2 ou 1 an au niveau d’un bac scientifique. A l’occasion de cette expérience j’ai vu des adultes bacheliers scientifiques d’une trentaine d’années, venir à mon cours pour se remettre à niveau après les tests de positionnement, et … avoir pratiquement tout oublié. De quoi s’interroger ! Car, au-delà des problèmes personnels, c’est bien la solidité des connaissances acquises dans notre système éducatif qui est en question, avec toutes ses incidences sur les problèmes de reconversion et de formation continue de plus en plus pressants, donc sur l’emploi. Des problèmes qui apparaissent même très vite puisque les dysfonctionnements de l’école rendent l’apprentissage à 16 ans particulièrement difficile, plus que dans d’autres pays, et d’autant plus difficile qu’il reste conçu comme une voie d’orientation pour des jeunes en situation d’échec scolaire. Je rejoins donc encore sur ce point Maryline Baumard qui a déjà dénoncé plusieurs fois dans les pages du Monde les conséquences des dysfonctionnements de l’école sur l’économie, notamment sur la croissance et l’emploi, (selon certains économistes la France perdrait ainsi entre 0,5 et 1 point de croissance. C’est énorme !). Et même, en allant encore plus loin, il y a là de quoi s’interroger sur ce qui a permis, et permet encore, mais justement de moins en moins, à certains de réussir dans un contexte très franco-français aujourd’hui mis à mal par la mondialisation, (voir les questions insolentes de calcul mental de J.J. Bourdin sur BFMTV, un peu plus loin, toujours dans cette rubrique). Cessons donc de mettre constamment en avant la réussite d’une élite, qui tient en fait surtout à des raisons personnelles[1], pour voir enfin la réalité en face et cesser d’entretenir des concepts éducatifs totalement erronés, et pas seulement obsolètes. Pour sortir de cette situation de chômage chronique il faut enfin admettre que les études ne s’arrêtent pas avec l’obtention d’un diplôme à la fin de l’adolescence, et adapter la formation de base à des exigences qui, en fait, ne sont pas si nouvelles que ça.

         J’ai bien sûr accordé une attention particulière au chapitre 4 de ce livre, « enseigner les maths à tous ? Chiche ! », qui rejoint parfaitement mes conceptions. J’aurai plutôt écrit : « mieux enseigner les maths à tous», car l’orientation, même réussie, s’effectue beaucoup trop souvent par un rejet des maths, s’expliquant par la sensibilité des jeunes aux incohérences de leur enseignement, ou par des échecs en raison d’un niveau insuffisant en maths. Pour entreprendre des études scientifiques il faut impérativement maîtriser des notions de mathématiques : par exemple savoir poser et résoudre des équations différentielles. Mes fils, aujourd’hui âgés de 37 et 33 ans, ont été confrontés dès leurs premières années de fac aux mêmes apprentissages que moi il y a maintenant 50 ans. Les exigences n’ont pas changé. Et pour permettre au plus grand nombre de faire des mathématiques, puis des sciences, il ne fallait pas alléger les programmes comme cela a été fait, jusqu’à leur faire perdre toute cohérence, mais les enseigner autrement.

         Dans ce chapitre, Maryline Baumard donne un écho, parfaitement justifié, aux hypothèses d’un chercheur, Rémi Brissiaud, qui, indirectement, soulève la question des représentations à un niveau qui me paraît particulièrement important, celui de l’entrée des enfants dans le monde des nombres, et donc, … des maths : « D’abord, le comptage, pratiqué comme une activité mécanique, est un blocage à la connaissance réelle des nombres. La frise numérique, celle qu’on récite mécaniquement avec les petits enfants, « 1, 2, 3, 4, 5 … », ne dit rien des chiffres, au contraire, elle induit l’adulte en erreur lui laissant croire que l’enfant les maîtrise, même si ce n’est pas le cas ». En effet, l’enfant à qui on fait réciter trop tôt et mécaniquement la frise numérique risque fort de ne pas associer à chaque nombre une représentation signifiante, c’est-à-dire le souvenir de collections d’objets qu’il a manipulées et parmi lesquelles sa mémoire a opéré une sélection. Il n’associe souvent aux nombres que des souvenirs de symboles auditifs ou visuels dont le positionnement a, donc, pour lui, un caractère arbitraire. Les mathématiques ont bien sûr une dimension sémiologique qui va en s’épaississant au fur et à mesure des apprentissages. Je veux dire par là que plus l’élève avance et plus sa réussite en mathématiques va dépendre de ses aptitudes à manipuler des symboles s’associant de plus en plus à d’autres symboles, à des mécanismes ou à des concepts et de moins en moins à des objets réels. Mais il ne faut surtout pas lui faire sauter des étapes. Surtout les premières. Mais enfin, comment peut-on faire découvrir aux enfants un des intérêts fondamentaux de cette discipline, qui se situe justement pour une part importante dans une reconstruction des connaissances, très motivante car elle se pratique un peu comme un jeu, si d’entrée on lui impose de tels apprentissages ? Pour Stanislas Dehaene[2] (voir plus loin dans cet article) notre cerveau est capable de tout apprendre même des symboles sans signification. Ainsi un enfant qui est capable de réciter mécaniquement la suite des nombres ne sait pas forcément compter. La signification viendra peut-être par la suite, mais ce n’est pas sûr et certainement pas pour tous ou peut-être trop tard. Pour l’enseignant le problème des représentations devrait donc être une préoccupation constante.

         Toujours sur cette question de l’apprentissage de la numération M. Baumard souligne que les élèves ont du mal avec les mesures, alors que, justement, les mesures ont le pouvoir  de donner du sens aux nombres : « Plutôt que de travailler largement sur les programmes, PACEM, (projet pour l’acquisition de compétences par les élèves en mathématiques ), a ciblé ses objectifs : faire acquérir les grandeurs et mesures avant la fin du primaire et mieux connaître les nombres à l’entrée au collège. Deux points assez mal maîtrisés alors que les didacticiens des mathématiques sont unanimes pour répéter que, sans avoir en tête les dimensions et une certaine conception des nombres, l’élève sera vite bloqué dans ses apprentissages. Les orthophonistes spécialisés dans la rééducation logico-mathématique sont aussi formels, acquérir le sens des mesures est essentiel ». J’ai pris conscience de ce problème dans les années 80 mais, seul, dans le cadre du collège, prisonnier de la salle de classe, des horaires et des programmes, j’ai du rapidement admettre l’inefficacité de ce que je pouvais faire, et, en plus, il faut commencer à intervenir avant le collège. Ce phénomène n’est certainement pas nouveau mais il s’est fortement répandu et même généralisé au cours des dernières décennies. Son développement s’associe à l’évolution du contexte de l’action éducative. Dans la première moitié du 20ème siècle les enfants apprenaient aussi, et peut-être surtout, à mesurer en dehors de l’école. Le contexte de l’action éducative développait des prédispositions de natures et d’origines variées : motivations, préreprésentations, … Et l’école, en se réformant, n’a pas su s’adapter à l’affaiblissement des prédispositions nécessaires aux apprentissages fondamentaux. Je dirai même, qu’à cet égard, en accentuant encore davantage le caractère encyclopédique et théorique des activités scolaires, elle a vraiment fait tout ce qu’il ne fallait pas faire, beaucoup plus qu’aucun autre pays[3]. Il faut aussi être conscient que les écrans, et plus particulièrement les images de conception photographique qu’ils véhiculent, perturbent fortement et durablement le développement de la perception de l’espace et du temps, donc du sens des mesures, de leurs représentations. Comment, sur l’écran de télévision, un enfant de deux ou trois ans peut-il faire la différence entre un tigre  et un chat, par exemple. Alors que peut et doit faire l’école ? Multiplier les sorties, les visites et surtout introduire de véritables activités manuelles du CP à la 3ème et même au lycée[4]. « La main à la pâte » est une très bonne initiation aux sciences mais encore trop théorique et trop éloignée du concept éducatif à mettre en place pour opposer une réponse efficace à ce problème.

         Cependant, dans la situation actuelle, il faut aussi compter avec l’intervention des parents dans le déroulement des apprentissages. Par des biais différents, tels que le livre de classe notamment, elle a toujours été encouragée par l’institution. Or le livre a des raisons complexes et très ambiguës d’exister. Il permet aux enfants de travailler à la maison et aux parents de suivre ce qui se fait en classe. C’est très bien à condition que le travail fait à la maison n’échappe pas au contrôle de l’enseignant. Car le livre de classe est aussi conçu, selon une tradition historique, pour permettre d’anticiper ou de compléter ce qui est fait en classe, et il entretient une confusion sur le rôle exact des parents dans la réussite scolaire de leurs enfants. De façon générale ils sont trop souvent tentés, par exemple, de faire apprendre et réciter mécaniquement la frise numérique, en ignorant tout des préoccupations pédagogiques nécessaires. Pour gagner du temps, pensent-ils, ou parce qu’ils croient avoir appris eux-mêmes les nombres de cette façon. Globalement, les parents sont restés sur des conceptions des apprentissages scolaires vraiment simplistes, beaucoup trop simplistes[5]. Ils sont pourtant très sensibles aux questions scolaires. En effet, dans le film « Etre et avoir » l’attitude de l’enseignant dans sa classe est déjà en rupture avec celle de ses prédécesseurs. Il est attentif à ses élèves, il les écoute et laisse penser qu’il place effectivement l’enfant au centre du système, sans en faire un « enfant roi ». Ce que j’approuve, évidemment. Il est important même impératif que l’enfant soit bien en classe, qu’il y soit heureux, mais cela ne suffit pas pour rendre l’école efficace.  Ce film a été bien accueilli par la communauté éducative. Mais on y voit l’enseignant faire réciter sans fin cette frise numérique, à une jeune élève qui n’arrive pas à placer correctement le 6 entre le 5 et le 7, un très mauvais exemple. Les exemples d’intervention maladroite des parents sont extrêmement nombreux, en voici d’autres: ils semblent admettre les discours sur l’intérêt d’une bonne maîtrise du calcul, mais la calculatrice s’impose avec les écrans comme un symbole de modernité, et inconsciemment ils incitent en fait leurs enfants à l’utiliser en considérant d’abord qu’elle fait partir de l’équipement de base de l’écolier et, ensuite, en donnant constamment le mauvais exemple. Je ne l’autorisais dans mes classes qu’au tout dernier moment, c’est-à-dire lorsque nous commencions la trigonométrie en fin de 4eme, et j’ai du affronter de façon presque constante une petite fronde larvée, insidieuse, n’osant pas s’affirmer, mais bien réelle. Dans les années 80 certains croyaient même vraiment que la calculatrice allait permettre à leurs enfants de dépasser leurs difficultés en mathématiques. Et j’ai vu des parents, très mal à l’aise, insinuer que si les calculatrices étaient autorisées dans mes classes, comme dans d’autres, leur enfant aurait de bien meilleurs résultats. J’ai aussi vu d’autres parents, et malheureusement beaucoup trop de collègues, considérer qu’il fallait cesser d’embêter les enfants avec le calcul. « Les calculatrices le font si bien ! ». Toujours ce besoin de la société française d’intellectualiser de façon maladroite et très mal inspirée les activités scolaires. Un véritable don « de courte vue » pédagogique. En fait les parents sont inquiets et c’est normal, mais l’institution ne fait rien pour répondre sérieusement et efficacement à leurs attentes. Les enseignants sont bien seuls. Sur l’ensemble de la communauté éducative, et même très souvent au niveau local, leurs discours, déjà trop souvent contradictoires, se diluent en outre dans une masse d’informations les rendant peu audibles.

         La question de l’apprentissage de la numération telle que nous la posons ici relève de ce que j’appelle depuis longtemps, mais sans être entendu, « la  pédagogie de l’instruction », que les pédagogues n’ont, malheureusement, pas su promouvoir. Donnons d’autres exemples. La pratique de la division sans poser la soustraction dans la partie gauche, non pour que les enfants sachent faire des divisions, mais pour développer la mémoire de travail, une prédisposition indispensable aux apprentissages scolaires mais qui n’est pas inée. … La nécessité d’articuler les leçons par une série d’activités « pour s’initier » aux nouvelles notions à apprendre. L’articulation pédagogiquement raisonnée entre activités numériques et géométrie, même si, dans la semaine les enfants ne font pas autant de géométrie que de calcul et si les créneaux horaires sont variables. … La structure de la leçon avec des étapes imposées : activités pour s’initier, découverte des concepts nouveaux, énoncé rigoureux de ces concepts, mémorisation aidée et contrôlée, mise en application progressive et complète, … évaluation des acquis sur des questionnaires permettant l’autoévaluation, … Anticiper de temps en temps des notions à venir, même situées dans des programmes assez lointains, par quelques activités bien ciblées, relevant évidemment de la leçon en cours : par exemple, la confrontation à des divisions qui ne se terminent pas installe des prédispositions nécessaires à la conceptualisation de la notion d’infini, de la notion de limite, à la répartition des nombres en ensembles, … Voilà des considérations pédagogiques qui relèvent de cette « pédagogie de l’instruction ». A cet égard, même avec les pédagogues, les stratégies d’apprentissage ont très peu évolué. La recherche est encore pratiquement inexistante. La communauté éducative française, avec ses références à l’école d’autrefois, est restée totalement bloquée. J’ai même parfois envie de dire que, finalement, la France a tout simplement l’école qu’elle mérite mais personne n’a le droit de dire çà car ce sont les enfants qui sont les premiers concernés. Pourtant la situation est terriblement compliquée. Elle paraît difficile à débloquer. Par exemple, si demain l’institution décidait de  mettre en place les activités manuelles nécessaires je suis convaincu que certains parents et même certaines associations s’y opposeraient fermement avec, notamment, en arrière pensée, la peur que les évaluations[6] dans cette discipline soient utilisés pour orienter les enfants vers des professions manuelles. Les rapports entre d’un côté la société, les parents, de l’autre l’institution et les enseignants sont extrêmement complexes, (comme par ailleurs les rapports entre l’institution et les enseignants). Un mur de méfiance s’est installé entre les deux. Comment sortir de cette situation ? Il faut en faire un enjeu national d’importance majeure. Les initiatives individuelles ne sont que des coups de bâtons dans l’eau. 

            En France trop d’intellectuels considèrent que notre système éducatif s’est construit autour de concepts qui ont fait leur preuve. C’est faux, totalement faux. Le système éducatif français repose en fait sur une exigence de docilité qui a produit pendant longtemps une illusion de réussite. Mais, en réalité, la réussite de l’école d’autrefois était essentiellement due à des motivations et des prédispositions engendrées puis entretenues par le contexte culturel, économique et social, qui, maintenant, à l’âge de l’école, ne sont plus assez fortes, et non à la docilité. Avant l’arrivée des écrans et de toutes les technologies modernes l’écrit s’imposait comme le principal moyen d’émancipation intellectuelle et il était perçu comme tel par les enfants, même très jeunes. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. L’écrit est perçu comme un moyen d’émancipation complexe, artificiel, comparativement aux autres et notamment à l’offre de l’image de conception photographique sous forme de films que véhicule les écrans. Les résistances à l’apprentissage de la frise numérique, par exemple, sont souvent celles d’enfants qui s’interrogent sur le sens de ce qu’ils font parce qu’ils n’en perçoivent pas l’utilité, et qui possèdent donc, en fait, une véritable curiosité, qu’il faut impérativement satisfaire. Une certaine docilité intellectuelle est évidemment nécessaire à l’apprentissage de l’écrit car à un moment le « par cœur » est nécessaire, mais il faut savoir l’utiliser au bon moment, savoir la justifier, et ne pas en faire un facteur d’apprentissage constant, trop sensible, trop présent, étouffant.

         Maintenant pour en finir avec le travail de M. Baumard, son livre et ses derniers articles dans le Monde, un dernier mot sur nos préoccupations du moment sur cette question de l’école. Pisa attire effectivement l’attention sur les écoles et collèges des quartiers défavorisés où la souffrance scolaire est beaucoup plus importante qu’ailleurs. C’est un fait incontestable. Les médias ont donc de bonnes raisons de faire une véritable fixation sur cet aspect dramatique des dysfonctionnements de l’école, mais elle finit par nous aveugler. Si l’école est plus efficace dans les beaux quartiers ce n’est pas parce qu’elle y fonctionne pédagogiquement ou scientifiquement mieux, mais surtout parce que les enfants y sont plus dociles et les parents plus présents. Et il est inutile de rappeler ce que je pense de la docilité comme facteur d’apprentissage et de la présence des parents lorsqu’ils prennent l’initiative d’anticiper les apprentissages scolaires. Les dysfonctionnements de notre système éducatif sont pratiquement les mêmes sur toute l’étendue du territoire, et dans les quartiers défavorisés leurs conséquences sont lourdement amplifiées. Mais ils finiront par affecter  toute la population scolaire de façon nettement plus sensible. Si nous voulons vraiment améliorer de façon durable l’efficacité de notre école ne nous laissons pas égarer par notre sensibilité aux situations les plus dramatiques. Justement, les réponses efficaces à ces situations dramatiques sont, en fait, beaucoup globales qu’il ne paraît.  

         Bref ! Je m’arrête en ce qui concerne le livre de Maryline Baumard, car je suis en train de refaire en partie le travail que j’ai déjà placé sur ce site. 

 

 


 Les invités de Jean-Jacques Bourdin
sur BFMTV

 

 

                   Tous les matins, entre 8 h 30 et 9 h sur BFMTV, J.J. Bourdin interroge une personnalité politique. Pendant une assez longue période l’entretien se terminait traditionnellement par une question dite « insolente ». Que penser des réponses à cette question insolente de trois invités ?

 

                   1 – Printemps 2010. Didier Migaud vient d’être nommé à la présidence de la Cours des Comptes. Il est l’invité d’un matin de J.J. Bourdin.

Question insolente, liée à l’actualité, (rapport de l’Institut Montaigne sur l’école et publications des résultats aux évaluations PISA qui révèlent une faiblesse des jeunes français dans la maîtrise du calcul) : combien fait le produit de 7 par 9 ?

Réponse de Didier Migaud, après quelques hésitations : 56. Devant le scepticisme de l’animateur, il répète : oui, çà fait bien 56 ! J.J Bourdin corrige : 63. L’émission s’arrête là.

 

                   2 – Quelques mois plus tard, début 2011, Jérome Cahuzac, qui a remplacé Didier Migaud à la présidence de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, est à son tour invité par J.J. Bourdin.

Même question insolente : combien fait le produit de 7 par 9 ? Bonne réponse de l’invité, sans hésitation : 63. Mais si celui-ci n’avait rien ajouté, tout était parfait. Or Jérome Cahuzac, bien que l’animateur ne lui demande rien, trouve le moyen de fanfaronner en déclarant : « c’est facile, tous les multiples de 9 se terminent par 3 ». Ce qui faux : 9 ; 18 ; 27 ; 36 ; … ne se terminent pas par 3. C’est la somme des chiffres qui est toujours égale à un multiple de 3, car 9 est multiple de trois. Mais c’est tout. 

 

                   3 – Printemps 2011. C’est le tour de Luc Chatel, ministre de l’Education Nationale. Contexte politico-socio-éducatif : les élèves de CM2 viennent de subir leurs tests d’évaluation, avant passage en 6ème.  

Question insolente : «les élèves de CM2 devaient répondre à la question suivante : 10 objets identiques coûtent 22 € ; combien coûtent 15 de ces mêmes objets ? ». Hésitation de Luc Chatel, puis réponse : 16,5 €. Quelle maîtrise de la proportionnalité ! Selon Luc Chatel 15 objets couteraient moins cher que 10 !

                   Et pourtant c’est bien Luc Chatel qui a lancé des réformes visant à relever le niveau en calcul des jeunes français !

 

                   Il faut évidemment prendre en compte l’émotion que peut produire un plateau de télévision au cours d’une émission en direct. Mais ces trois responsables politiques sont parfaitement habitués à ce type de situation.

                    Alors, après avoir constaté qu’ils ne sont plus très jeunes, que, chronologiquement ils ne peuvent pas être des victimes du pédagogisme, ou de la pédagogie, tant décriés depuis plus d’une décennie par certains intellectuels et partis politiques, que c’est par les méthodes de cette l’école d’autrefois, encensées par les mêmes intellectuels et partis politiques, qu’ils ont appris à calculer, que, peut-être, ils ont même fréquenté des écoles privées, je m’interroge avec insistance sur les références que nous offre cette école d’autrefois pour l’apprentissage du calcul et, plus généralement, pour l’ensemble des apprentissages fondamentaux. Car pour moi l’apprentissage du calcul fait bien parti des apprentissages fondamentaux. Mais quels étaient les objectifs de l’école d’autrefois et que peuvent être, et doivent être, aujourd’hui les objectifs réels de l’apprentissage du calcul ? 

 

 

Petite précision nécessaire : il n’y a absolument rien de politique dans ces observations.



[1]  En France comme partout ailleurs, il y a, il y a toujours eu et il y aura toujours, des personnes à qui l’école apporte peu, disons plutôt moins qu’à d’autres. De toute façon, nous sommes tous plus ou moins capables d’apprendre sans l’école, dont la mission est donc de faciliter, équilibrer, harmoniser, donner de la puissance aux apprentissages fondamentaux en fonction des exigences du contexte culturel, technologique, économique et social. Et, finalement, grâce à l’école, parmi les meilleurs, et même parmi les meilleurs des meilleurs, à tout point de vue, peuvent se retrouver beaucoup d’individus qui n’auraient pas pu apprendre seul. Quand elle remplit bien sa mission l’école est donc un excellent investissement.

[2] Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive au collège de France, est aussi mathématicien. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages devenus rapidement des références, dont  « Les neurones de la lecture ».

[3] De nombreux intellectuels et l’ensemble de la société sont, autant que l’institution scolaire, responsables de ce gâchis.

[4] Il est évident que j’ai beaucoup de sympathie pour les concepts développés par Maria Montessori.

[5] Nous venons de le voir avec les confusions entre l’ABCD et « la théorie du genre ». A cette occasion nous avons entendu Hervé Mariton dire qu’il comprenait et soutenait le fait que les enseignants encouragent les filles à choisir une voie scientifique, mais pas ce qui se fait dans le cadre de l’ABCD. Or, il faut savoir ou prendre conscience, qu’au moment où le problème se pose, en 3ème, en 2ème et en 1ère , les jeux sont déjà faits. Ce qui peut être conseillé au jeune à ce moment là ne peut que faire appel à sa docilité et non à ses sensibilités.

[6] Des évaluations qui ne sont pas vraiment nécessaires, puisque le but recherché n’est pas réellement de savoir fabriquer des objets, mais que l’institution ne manquerait pas de mettre en place.