NOUVEAU TEXTE: "A PROPOS DES 21 MESURES POUR L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES DE LA COMMISSION VILLANI"

A propos du livre de Carole Barjon :
 « Mais qui sont les assassins de l’école ? »

 

         Je comprends parfaitement que, celui ou celle qui, comme Carole Barjon, observe le système de l’extérieur, concerné en tant que parent, journaliste ou simple citoyen, puisse penser à des complots ou à un vaste complot. Il est effectivement tentant d’associer les évolutions qui nous inquiètent à des théories développées par certains intellectuels très médiatiques surtout lorsqu’il apparaît que des personnes occupant des responsabilités importantes dans l’institution sont plus ou moins des adeptes de ces théories. Mais je pense que la réalité est beaucoup plus simple, que Carole Barjon leur prête une intelligence, des compétences et des pouvoirs qu’ils n’ont pas réellement, qui relèvent simplement de l’illusion. A mon avis, l’incohérence des évolutions pédagogiques et des transformations effectuées sur les programmes écarte fortement, même totalement, l’idée d’un complot. Je suis donc peut-être beaucoup plus sévère qu’elle à leur égard. J’ai beaucoup appris sur les uns et les autres en lisant son travail, particulièrement intéressant. Sa connaissance des arcanes de l’institution est vraiment remarquable. Elle a fait un excellent travail d’investigation. Mais mon jugement n’a pas changé. La lecture de son livre n’a fait que le renforcer. Je pense que notre système éducatif est en fait victime d’une « sottise diplômée » absolument ahurissante, une expression que j’ai trouvée dans un texte de J. C. Guillebaud et qui me paraît convenir parfaitement pour définir les initiatives des intellectuels qu’elle tient pour responsables de ce désastre. Pour moi aussi ils en sont en partie responsables, mais en partie seulement et, je le répète, par sottise et non pour toute autre raison. J’ai vécu personnellement cette évolution et je pense qu’il faut prendre en compte d’autres facteurs, considérer d’autres responsabilités ; par exemple, ne pas oublier les parents et la pression de la société. En tentant d’interpréter les faits, gardons nous de refaire l’histoire.

 

         A propos des méthodes de lecture.  

         D’abord j’annonce immédiatement ce que je pense de la méthode globale. Pour moi, intellectuellement, elle se présente comme une hérésie totale. Et je vais peut-être encore surprendre. Car c’est la découverte du statut sémiologique et du fonctionnement médiatique de l’image de conception photographique, nécessairement par comparaison avec l’écrit, qui m’a conduit à penser que seule la méthode syllabique était en corrélation étroite avec la nature de l’écrit[1]. On peut, bien sûr, faire de la photo sans entrer dans de telles comparaisons, mais à la fois photographe (photographe militaire de 1969 à 1970, pendant mon Service national) et enseignant de mathématiques, dans les années 80, j’ai voulu comprendre pourquoi je me trouvais en face de différences de compréhension aussi importantes entre mes élèves dans la lecture des énoncés. Je me suis donc m’intéressé de façon un peu approfondie aux méthodes d’apprentissage de la lecture, sans être directement concerné. Ce qui m’a conduit à considérer que la méthode globale se présentait finalement comme une transposition de la reconnaissance des représentations photographiques aux signes écrits. Un raccourci qui, évidemment, ne tient pas compte de son histoire, des raisons qui ont conduit à son « invention ». Mais le constat est là. Pour qui connaît la nature de l’image de conception photographique, son statut sémiologique et son fonctionnement médiatique le rapprochement s’impose. Et, aussitôt, de façon parallèle, la connaissance de la nature de l’écrit fait apparaître cette transposition de la reconnaissance des représentations photographiques sur les signes écrits comme complètement déplacée, totalement aberrante. Inutile d’avoir recours aux neurosciences pour arriver à ce résultat. Un simple raisonnement logique suffit. Mais il faut, bien sûr, avoir conservé en mémoire la nature de l’écrit. Ce que trop souvent les pédagogues n’ont pas su faire.  Pour plus de détail, voir sur ce site le dernier texte important mis en place, il est intitulé « Sur l’école », (la 3ème partie : « Derrière les écrans, des images »).

         Mais, après cette mise au point préliminaire, je pense que personne n’a voulu ce qui s’est passé. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et les explications à apporter aux échecs de l’école sont peut-être moins compliquées, ou moins sophistiquées, que celles que croit dénoncer Carole Barjon. N’ayant jamais enseigné en primaire, je n’ai pas réellement vécu les débats autour des méthodes d’apprentissage de la lecture mais j’ai eu l’occasion de les entendre, de les suivre avec tout l’intérêt qu’ils méritaient. Que disait-on pour justifier l’usage des nouvelles méthodes? Que la méthode syllabique faisait illusion. Qu’elle ne développait pas un goût suffisant pour la lecture alors que, depuis plusieurs décennies, en librairies et maisons de presse, l’offre se développait fortement. Que les adultes lissaient peu, et, par ce fait, finissaient par devenir illettrés. Ce qui est vrai. Les statistiques l’ont amplement prouvé. C’est dans les années 70 que la société française a découvert l’illettrisme, défini comme un oubli des savoirs lire et écrire ; un rapport à l’écrit différent de l’analphabétisme par ses origines, bien que les conséquences et les manifestations soient les mêmes. Alors que les adultes concernés avaient nécessairement appris à lire par la méthode syllabique, la plus traditionnelle. Selon l’idée des promoteurs des nouvelles méthodes, il fallait former des lecteurs capables de lire vite de façon à répondre, au niveau des loisirs, à la concurrence du cinéma, car celui-ci permettait de découvrir une histoire en moins de 2 heures, et, avec la pénétration de la télévision dans les foyers, sans même avoir besoin de sortir de chez soi. Or, toujours selon les promoteurs des méthodes globales, pour le commun des mortels, l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique complique la maîtrise de la lecture rapide. C’est en partie vrai, mais je pense que ce n’est pas le principal obstacle.  

         Ainsi, je ne conteste pas l’intérêt des neurosciences et notamment les travaux de Stanislas Dehaene, bien au contraire. Mais à propos de ses publications sur la lecture, quel est l’intérêt de démontrer et redémontrer ce qu’un peu réflexion permet de savoir, (voir encore sur ce site le texte déjà évoqué). Pour des élèves motivés, et motivés durablement, l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique est incontestablement la meilleure méthode puisqu’elle est en corrélation pratiquement parfaite avec la nature de l’écrit. Mais comment motiver tous les élèves pour l’apprentissage de l’écrit ? Et entretenir leur motivation ? Or, aujourd’hui, la démotivation pour l’apprentissage de l’écrit n’a jamais été aussi forte, et les origines, les causes profondes, de cette démotivation sont complexes, (voir « Sur l’école », encore une fois). L’école ne sait toujours pas lui opposer autre chose qu’une exigence trop forte, vraiment excessive, de docilité, qui fragilise les apprentissages et engendre de l’illettrisme. (Dans « Image et rapports à l’histoire », autre texte important de ce site, je fais part de mon expérience de l’enseignement à des adultes, dans le cadre d’un organisme associé au CNAM, et des conséquences de cette exigence de docilité d’abord sur la formation initiale, puis, par un enchaînement logique, sur la formation continue). Stanislas Dehaene ne donne aucune réponse à cette question fondamentale qu’est la motivation des enfants jeunes pour l’apprentissage de l’écrit. Je me permets de rappeler que la méthode globale a, en fait, était inventé dans la seconde moitié du 18ème siècle par l’abbé Berthaud pour tenter de motiver ses élèves. Et, à cet égard, nous n’avons donc pas vraiment avancé, alors que les facteurs de démotivation se sont multipliés de façon exponentielle.

 

         A propos de l’apprentissage des nombres et du calcul, je rappelle que la pression de la société et notamment des parents a été particulièrement forte pour coller à ce que j’appelle « les utilités externes immédiates », et que « la sottise diplômée » leur a donné raison. Dans le texte « Sur l’école » je détaille longuement les effets de la circulaire de 1986 sur l’apprentissage des nombres et du calcul en citant Rémi Brissiaud, un chercheur en sciences de l’éducation spécialisé sur l’enseignement des mathématiques, que je considère comme une référence. En 1986, sur l’idée d’une psychologue américaine on a décidé en haut lieu que l’apprentissage des nombres devait se faire par le biais de leur fonction ordinale, c’est-à-dire en apprenant par cœur la suite numérique : 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; … , directement, sans passer par les collections. Pourquoi ce choix ? Parce que dans le monde qui se dessinait, il semblait que le principal et premier emploi des nombres était le repérage : numéro d’une chaîne de télévision, d’un immeuble dans une rue…  Ce que j’appelle des « utilités externes immédiates ». Avec les calculatrices, savoir poser une opération devenait, à priori, inutile et même, pour beaucoup savoir calculer. Des raisonnements plus que simplistes. Une catastrophe ! Je renvoie encore au texte « Sur l’école » pour comprendre pourquoi cette idée était complètement idiote. Mais vraiment idiote ! Et, donc, derrière laquelle il est difficile de voir un complot. Ainsi, une première question s’impose : comment des « intellectuels » de haut niveau ont-ils pu penser que l’initiation aux deux fonctions élémentaires des nombres pouvait s’inverser, alors que la fonction ordinale découle de la fonction cardinale ou de dénombrement, ce qui n’est pas réciproque ? C’est pourtant vraiment une question très élémentaire de didactique ! Mais dire que c’est une question de didactique c’est dire que c’est une question de pédagogie ! C’est-à-dire qu’il faut la garder en mémoire et pour cela avoir une expérience réelle de l’enseignement des nombres et, donc, ne pas prétendre tout connaître après être passé par une grande école. Finalement, une seule explication possible : la sottise diplômée, c’est-à-dire l’esprit prétentieux, la vanité que produit trop souvent, en France, le passage par les grandes écoles. Ne prêtons pas aux intellectuels responsables du désastre que nous dénonçons l’intelligence qu’ils n’ont pas. On peut avoir fait une grande école et ne pas posséder tous les facteurs qui font réellement l’intelligence. Des personnalités politiques, des journalistes, des intellectuels nous en font la démonstration tous les jours. Depuis trop longtemps, dans tout notre système éducatif, l’exigence de docilité est vraiment excessive, au détriment de toute forme d’imagination. Deuxième question : pourquoi, ensuite, les instituteurs ont-ils mis en application une sottise pareille ? La réponse est simple. Leur formation ne leur permettait pas de réagir. Pendant mes premières années de retraite, j’ai aidé de jeunes étudiants déjà titulaires d’une maîtrise, de langues, de lettres ou d’histoire, à préparer le concours de professeur des écoles. Mais leur niveau en maths était effarant !

         J’ai toujours interdit les calculatrices dans mes classes jusqu’aux leçons pour lesquelles elles devenaient nécessaires, voire indispensables, comme la trigonométrie en fin de 4ième. Une exigence que les parents de mes élèves semblaient comprendre et bien accepter, jusqu’au début des années 90. Mais, progressivement, bien que cette interdiction soit écrite noir sur blanc sur les listes de matériel concernant mes classes, j’ai vu de en plus en plus d’élèves arriver dès le premier jour avec une calculatrice, achetée par les parents bien sûr. J’ai vu des parents, presque en pleurs devant moi, me dire que ma position était injuste parce que la calculatrice permettrait aux enfants qui ne connaissent pas bien leurs tables de multiplication de les vérifier. J’ai entendu un père, cadre de haut niveau, me dire au cours d’une réunion que le calcul avec les fractions n’avait plus aucun sens parce que « les calculatrices le font si bien ». Et j’ai vu la totalité de mes collègues céder pour avoir la paix, tout simplement. Ne négligeons donc pas le rôle des parents et de toute la société dans le désastre que nous dénonçons. Leur pression sur les enseignants, directement, et sur l’institution, par l’intermédiaire des associations et du pouvoir politique, a été particulièrement forte. Or, pour les parents, pour la société, le fondement des conceptions de la pédagogie repose essentiellement sur les utilités externes immédiates. Ce qui me paraît bien normal. Mais, par contre, il n’est vraiment pas normal que l’institution et que les enseignants n’aient pas été capables, et ne soient toujours pas capables, de répondre aux parents en véritables professionnels de l’enseignement, en pédagogues reconnus. Les enseignants n’ont jamais été incités à développer une véritable réflexion pédagogique. L’école d’autrefois collait aux utilités externes immédiates. La maîtrise de l’écrit et du calcul relevait avec force de ces utilités externes immédiates auxquelles mêmes les enfants jeunes étaient sensibles. Et, de façon générale, pour les enseignants, les prédispositions naturelles des enfants envers l’apprentissage de l’écrit et du calcul n’incitaient donc pas à la réflexion. Les enseignants  pouvaient faire leur travail de façon tout à fait correcte en appliquant des « recettes », éventuellement en s’appuyant sur un bon livre de clase. Lorsque le besoin d’une véritable formation pédagogique s’est fait sentir, ses promoteurs ont peut-être voulu trop bien faire sans en avoir les moyens. Finalement, l’institution a mis en place une formation jargonnante et totalement inefficace. Dire qu’elle n’a pas produit les résultats attendus est vraiment un euphémisme. Les critiques très sévères, souvent justifiées mais parfois très excessives ont abouti à un dénigrement de la pédagogie au nom d’un égalitarisme républicain. Or, dans une société qui avait déjà fortement tendance à concevoir la pratique de l’enseignement beaucoup plus comme un art que comme une science, ce dénigrement de la pédagogie, qui s’est donc fait dans le simplisme, a eu un effet destructeur jusque sur des notions de didactique très élémentaires. Voilà où nous en sommes, aujourd’hui.    

        Mon expérience de l’enseignement des mathématiques, sur environ 38 ans, porte essentiellement sur le deuxième niveau du collège (4ième – 3ième), et même surtout sur la classe de 3ième. Et malgré mes contacts avec les collègues de plusieurs établissements, récemment, j’ai été étonné d’apprendre que dans un collège privé,  d’excellente réputation, un élève de 5ième qui avait fait 3 erreurs sur 20 questions dans une interrogation sur les tables de multiplication pouvait encore avoir 17 sur 20. C’est incompréhensible, à la sortie de l’école primaire un élève doit parfaitement connaître ses tables de multiplication, sans la moindre hésitation. En réalité, le privé, notamment le privé sous contrat qu’il conserve ou non des références religieuses, ne fonctionne pas mieux que le public. Il ne fait que stimuler un élitisme fondé sur des considérations malsaines, et finalement destructeur, comme le montre l’exemple que je viens de donner. Contrairement à ce qui serait bénéfique à l’ensemble du système scolaire, ce ne sont pas les pratiques pédagogiques qui orientent le choix des familles. Ainsi, la compétition entre établissements, entre public et privé, ne produit aucun effet d’entraînement positif sur l’efficacité de l’école. Au contraire elle est même tirée vers le bas. Celle du privé, tel qu’il fonctionne actuellement, n’est qu’une illusion qui repose sur des considérations fallacieuses. En effet, les élèves scolarisés dans le privé participent comme les autres aux évaluations internationales et malgré l’attraction de plus en plus forte qu’il exerce sur les familles depuis plusieurs décennies, le niveau de l’ensemble des élèves français continue de s’effriter. Je dois, au passage, préciser que ce n’est pas l’existence d’un enseignement privé qui me gêne, mais son incapacité à produire l’émulation qui devrait être sa raison d’exister. Il y a donc bien à l’origine des dysfonctionnements de notre école une part de responsabilité des familles et de toute la société. Je pense qu’elle est même très importante. Par leurs choix sociétaux et politiques, par leurs contacts directs ou indirects avec les enseignements, par le biais des associations, depuis plusieurs décennies, les parents ont fortement participé au développement des orientations qui, finalement, ont conduit l’école là où elle est. Il serait alors tentant de dire que les français ont l’école qu’ils méritent. Mais, sur cette question, ce serait occulter le rôle des partis politiques, du pouvoir en place, des élites dirigeantes, des intellectuels engagés et le niveau de formation pédagogique ridiculement bas des enseignants. En ce qui concerne les partis politiques, ce n’est pas en répondant au simplisme des conceptions pédagogiques qui dominent chez les parents et dans l’ensemble de la société par des propositions démagogiques ou populistes, comme imposer le port d’un uniforme, que notre école trouvera le chemin de l’efficacité. Les partis politiques proposent n’importe quoi, parce qu’ils sont incapables d’assumer leur fonction d’information, parce que sur cette question le personnel politique est lui aussi gravement atteint de « sottise diplômée ». Ce que certains ont appelé la pédagogie, peut-être à tort, a effectivement déçu. C’est incontestable. Ses détracteurs ont parlé de « pédagogisme » en défendant un immobilisme tout aussi destructeur. En fait, c’est effectivement en raison d’erreurs à caractère pédagogique, comme la circulaire de 1986, que nos jeunes ne savent plus calculer et que les facultés de sciences connaissent une situation d’échec dramatique. Mais c’est en faisant des erreurs qu’on apprend ou redécouvre ce qui n’aurait pas du être oublié. Je considère cette erreur, qu’est la circulaire de 1986, comme une « légèreté » pédagogique à laquelle l’institution s’est abandonnée en oubliant que la didactique disciplinaire devait rester le fondement de toute orientation pédagogique. Et je la considère aussi comme particulièrement représentative des errements de l’institution. Et, ces errements ne concernent pas que les mathématiques. Bref, les parents doivent comprendre que, pour notre école, le chemin de l’efficacité passe par un investissement pédagogique incontestablement différent mais extrêmement fort et non par des mesures administratives simplistes. Un investissement pédagogique dont ils doivent évidemment comprendre les fondements mais dont ils ne peuvent pas être à l’initiative. Il semblerait, par exemple, que dans le monde actuel une maîtrise du calcul telle qu’elle était enseignée par l’école d’autrefois soit devenue inutile. Or, pour faire des sciences, pas seulement des mathématiques, il faut savoir très bien calculer, suffisant vite. Avec, évidemment, des objectifs de maîtrise différents de ceux d’autrefois. Je ne propose pas évidemment de revenir aux tables de valeurs naturelles pour la trigonométrie, par exemple. Mais depuis plusieurs décennies, l’enseignement des nombres, du calcul et de l’ensemble des mathématiques s’effectue selon des conceptions pédagogiques d’un simplisme effarant. Il est urgent de s’élever au-dessus de ce que peuvent inspirer ce que j’appelle les « utilités extérieures immédiates ». La situation est telle qu’elle semble ne pas pouvoir évoluer sans une prise de conscience politique qui doit ensuite apparaître dans les discours et les propositions des partis.  

         La question du nombre d’heures de français ou de mathématiques. Fin des années 40, jusqu’au début des années 50, j’étais élève d’une école publique d’un très petit village ardéchois. Je ne me rappelle pas avoir fait autre chose que des dictées, des compositions françaises, du calcul, des problèmes, de la géographie, de l’histoire et quelques « leçons de chose », de 8h30 à 11h30 et de 13h30 à 16h30, donc 6 heures par jour et …. 6 jours par semaine, sans compter les devoirs à la maison. C’était un autre monde : pas de télévision, pas d’ordinateur, pas de téléphone, …, peu de jouets, mais quelques livres et le contact avec la nature, la réalité.

         Alors oui, les jeunes, aujourd’hui, ont beaucoup moins d’heures de français et de mathématiques. En effet, à l’école primaire, les gens de ma génération ne faisaient pas d’anglais, pas d’informatique, …, même pas d’éducation physique, ou très peu. Cependant n’oublions pas, j’insiste fortement, qu’en dehors de l’école bien sûr, ils avaient plus de contact direct avec la nature, avec un environnement qui n’avait rien de virtuel. Ils pratiquaient quotidiennement des activités physiques ou manuelles relevant des exigences de la vie. Alors que faire ? Regretter l’école d’autrefois ? Non, ce serait absurde. Son organisation, ses méthodes ne sont pas transposables. Nous vivons dans un monde totalement différent et les structures institutionnelles de l’école se sont, nécessairement, transformées. D’autre part l’enquête Timss publiée fin 2016 nous rappelle à la réalité : les jeunes français ont plus d’heures de maths que les élèves de la plupart des autres pays évalués. Pour quels résultats ? Comparativement catastrophiques ! Les graphiques publiés par le journal Le Monde sont particulièrement significatifs. Je pense qu’il faut d’abord redonner aux programmes une véritable cohérence et, parallèlement, mettre en œuvre une pédagogie de l’instruction à la fois motivante et exigeante. La nature de l’écrit n’a pas changée. Ce sont les rapports des jeunes à l’écrit qui ont changés, notamment leurs prédispositions à son apprentissage.  

 

         Les inspecteurs. Je partage totalement le point de vue de Marcel Gauchet sur les inspecteurs. J’ai plus d’estime pour les chefs d’établissement, peut-être parce que je les ai fréquentés de plus près. Mais autant les inspecteurs que les chefs d’établissement sont des gens qui ont choisi de faire carrière. Pourtant, pour celui qui entre dans ce métier, le contact avec les jeunes, pour peu qu’il soit sensible à leurs difficultés, lui fait vite oublier l’envie de faire carrière. Qu’il en ait conscience ou non l’enseignant a des responsabilités à assumer d’abord envers les jeunes et leur famille, ensuite, et seulement ensuite, envers l’institution. A la rentrée, il prend en charge 4 ou 5 groupes pour toute une année. Chacun de ses élèves a un passé scolaire et il doit faire en sorte que la poursuite de sa scolarité se fasse le mieux possible. J’hésite à dire comme Céline Alvarez que pour cela, il doit aimer ses élèves, de façon à éviter toute ambiguïté dans la nature des relations entre le professeur et ses élèves par comparaison avec celle qui, chronologiquement, existe déjà entre les parents et leurs enfants. Je préfère donc parler de bienveillance affirmée. Les inspecteurs et les chefs d’établissement doivent avoir exercé au moins 5 ans comme enseignant. Pour quelles raisons choisissent-ils ensuite une autre voie ? Par ambition ? Au bout de 5 ans, la seule ambition me paraissant possible pour des enseignants qui ont vraiment compris leur rôle, qui sont vraiment entrés dans le métier, est de voir leurs élèves réussir. Alors comment un enseignant peut-il s’en détacher aussi facilement ? Parce qu’il n’était pas heureux en classe ? Par manque d’autorité ? (Dans la littérature, c’est une question qui a longtemps inquiété Mara Goyet). Parce qu’il n’a pas réussi à « entrer » dans le métier ? Toutes les réponses à ces questions conduisent finalement à un constat d’échec plus ou moins prononcé. Sauf, heureusement, pour la majorité des chefs d’établissements, qui souvent ne franchissent le pas qu’après la quarantaine et restent au « contact » avec les jeunes dans une forme d’action éducative toujours directe, certes différente mais complémentaire, donc nécessaire. Mais les inspecteurs, par contre, abandonnent totalement toute forme d’action éducative directe. Et c’est donc à ces gens là que l’enseignant qui est resté sur le terrain doit rendre des comptes. Le sens du mérite est complètement inversé.

         Je n’éprouve pourtant aucune rancœur personnelle à l’égard des inspecteurs. Je dois dire que  j’ai eu beaucoup de chance. Pour des raisons un peu compliquées, j’ai pu bénéficier d’une assez grande autonomie pendant toute ma carrière sans aucun préjudice pour mon avancement : seulement 4 inspections en comptant ma titularisation. Ce discours est simplement le fruit d’une réflexion, car il vrai, qu’au tournant de la quarantaine, voyant des collègues franchir le pas, je me suis posé quelques questions.           

 

         Et les enfants ? Carole Barjon semble les avoir totalement oublié. Bien que certains refusent de l’admettre, surtout pour des raisons idéologiques, l’enfant est bien au centre du système. Il est bien la raison d’être de l’école. Or, avec la modernité, la nature de l’écrit n’a pas changé, mais, par contre, pour les enfants, les rapports à l’écrit se sont profondément transformés. On peut donc dire que les enfants ont changé. Ce que les « républicains » refusent d’admettre. Ils ont tort. Pour les pédagogues, c’est ce changement qui nourri leur réflexion et leurs conceptions, mais pour y répondre ils ont cru pouvoir adapter l’écrit à ce qui leur semblait être les nouvelles exigences de son apprentissage, celles qu’ils ont cru déceler chez les enfants. Eux aussi ont tort. L’intérêt pour le développement de l’enfant, sa connaissance et son accompagnement, relève de la modernité sociétale. Les conceptions éducatives ont donc évolué. Heureusement ! Et je ne pense pas qu’aux coup de règle et aux gifles de l’instituteur d’autrefois. Mais il faut aussi savoir reconnaître ce qui relève ou non de l’éducation. Avec la pénétration des technologies modernes dans leur environnement, dans leurs espaces de vie, les prédispositions[2] des enfants à l’apprentissage de l’écrit se sont profondément transformées. Elles ne sont plus ce qu’elles étaient autrefois. Sur cette question des prédispositions, que j’associe au développement des résistances aux apprentissages, je renvoie encore à plusieurs textes de ce site. Or, contrairement à ce que pensent les « républicains », ces prédispositions aux apprentissages scolaires étaient dues à l’environnement et non à l’institution et à l’autorité de l’enseignement. Aujourd’hui, faire renaître de façon suffisamment généralisées ces prédispositions relève de l’éducation, de la pédagogie et de l’école. C’est sur ce point que les efforts doivent se concentrer et non en torturant les programmes et la didactique pour tenter d’adapter l’écrit aux évolutions des enfants. Oui, dans ses manifestations, l’écrit a bien subi quelques évolutions, mais elles sont marginales. Sa nature n’a pas changé, elle ne peut pas changer. Le défi pédagogique est immense.

         Les hypothèses que je développe dans l’ensemble de mon travail de recherche repose sur ce dernier point. En effet, à partir des années 80 j’ai senti se développer des résistances aux apprentissages fondamentaux de façon très forte. J’ai essayé dans cerner les origines et de les définir et j’ai ouvert ce site pour y placer les résultats de mes réflexions.

 

 

 



[1] Dans les années 70, la place de la photographie dans les arts visuels était encore en débat et la libraire était particulièrement riche en travaux de réflexion. J’ai eu la chance de pouvoir en profiter.

[2] En bref, on assiste d’abord à un fort affaiblissement des prédispositions traditionnelles que sont la motivation, l’attention, la concentration et l’écoute, ensuite à l’apparition de contre-dispositions fortes comme le besoin d’immédiateté, un développement plus lent et plus difficile de la perception de l’espace et du temps, une perception plus complexe des utilité externes des apprentissages scolaires.