NOUVEAU TEXTE: "A PROPOS DES 21 MESURES POUR L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES DE LA COMMISSION VILLANI"

 

 

 

Troisième partie (1)

Conséquences pratiques


Bilan des propositions déjà avancées,
autres propositions ou hypothèses,
les priorités

 

 

 Mais d’abord un résumé

 

                   J’ai saisi la question de la dégradation de l’efficacité de notre système éducatif, confirmée récemment par différents organismes, pour aborder mon hypothèse des effets de la télévision en ajoutant une nouvelle explication à toutes celles qui ont déjà été avancées dans les débats et les commentaires. Je considère donc que nous avons commis l’erreur de rendre les enseignements encore plus encyclopédiques qu’ils ne l’étaient déjà, alors qu’une rupture importante dans les relations entre les jeunes et la réalité s’installait sans rencontrer la moindre résistance; une rupture engendrée par l’entrée intensive de la télévision dans tous nos espaces de vie quotidiens. Erreur que les pays où l’efficacité de l’école progresse ont su éviter. Les évaluations internationales le montrent. Nous avons constaté que la chronologie n’invalide pas cette proposition. Elle la justifie.

                   En fait, cette proposition me permet surtout d’attirer l’attention sur la question de la télévision dont les effets sur les enfants me paraissent, de façon générale, très inquiétants par leur ampleur et leur intensité. Je pense qu’ils ont produit progressivement une transformation importante des rapports aux langages. Une transformation qui se manifeste maintenant par une résistance généralisée et beaucoup plus forte que dans le passé aux apprentissages scolaires, à laquelle il paraît nécessaire d’opposer rapidement un investissement pédagogique adapté.

                   J’ai moi-même observé la montée en puissance de cette résistance aux apprentissages scolaires, qui semble, de façon générale, confirmée par tous les enseignants qui se sont exprimés récemment pour dire à quel point leur métier est devenu difficile. Et je pense donc, en le répètant avec insistance, que la généralisation et le développement de cette résistance sont dus essentiellement aux effets des images de la télévision.

 

                   Il fallait donc définir les caractéristiques de ce phénomène de résistance, ses aspects, ses différentes façons de se manifester. Pour moi, dans sa récente montée en puissance, il présente cinq aspects essentiels, bien distincts. Trois de ces aspects : l’apparition et la généralisation des difficultés dans la reconnaissance des signes, le besoin d’immédiateté et de donner très vite des solutions, les blocages dues à une perception erronée de l’espace et du temps, me semblent relever presque exclusivement des effets de la télévision. Par contre, la forte dégradation de la sensibilité des jeunes aux utilités extérieures immédiates en est un aspect qui relève un peu plus des effets de l’ensemble des technologies modernes, comme, par exemple, de ceux de la calculatrice à l’égard de la maîtrise du calcul. Pour les difficultés d’attention, de concentration et d’écoute, qui se présentent comme un aspect très fort de cette résistance, je répète encore une fois qu’elles ne sont pas apparues avec la télévision, mais toutes les observations confirment que celle-ci les a généralisées et développées de façon exponentielle.

                   Dans la caractérisation de ce phénomène de résistance je n’ai pas isolé la question des motivations car ses origines sont complexes. Les effets de la télévision lui donne pourtant une acuité particulière. La fuite des motivations amplifie effectivement le phénomène de résistance dans tous ses aspects, mais elle me paraît relever de questions pédagogiques beaucoup plus générales. Et nous l’avons, en fait, observé tout au long de ce travail.

                   Et, à la marge de mon hypothèse, dont le fil directeur concerne essentiellement les effets de la télévision sur les apprentissages scolaires, vient aussi se placer un véritable pouvoir de déséducation, qui mérite toute notre attention.

 

                   Définie sémiologiquement comme une empreinte, dans la majorité de ses usages, ceux qui nous concernent quotidiennement, l’image de conception photographique a acquis un statut de preuve très fort. Ce qui conduit à définir son fonctionnement médiatique par comparaison au discours écrit ou oral comme un mécanisme de citation et non comme un mécanisme d’interprétation. Alors pour y voir un peu plus clair nous avons ensuite tenté d’explorer les rapports qui peuvent s’établir entre l’image de conception photographique et la mémoire, puis ses interventions dans les procédures intellectuelles. Nous avons alors découvert que ce type d’image possède le pouvoir phénoménal de remplacer la mémoire et d’intervenir dans les procédures intellectuelles par  le biais d’un mécanisme de substitution. Elle ne remplace pas le discours écrit ou parlé, car elle ne peut pas le remplacer, mais elle permet de reporter à plus tard ou de déléguer, de façon intensive et à tous vents, le soin d’effectuer certaines interprétations. Un pouvoir énorme !

                   Par son statut d’empreinte et de preuve, par son fonctionnement médiatique sous forme de citation et enfin par sa pénétration massive dans nos vies l’image de conception photographique a engendré une véritable révolution culturelle. Le passé est devenu aussi sûr que le présent et le lointain aussi sûr que le proche. A travers les écrans, l’information paraît maintenant comme libérée de l’interprétation experte des initiés. Les rapports à la connaissance qui, lentement, au cours de plusieurs millénaires, s’étaient construits autour de l’écriture, du dessin, de la peinture, de la sculpture, …, sans oublier la musique, bien qu’elle ne soit pas un art visuel, s’en trouvent profondément perturbés. Pour tous les enfants, les motivations et les prédispositions intellectuelles à l’égard des activités scolaires c'est-à-dire à l’égard de l’apprentissage de l’écrit, du calcul, du dessin se sont déplacées ou se sont transformées. Quand je dis tous les enfants je pense que ceux qui sont abandonnés tout-petits devant la télévision sont bien sûr plus exposés que les autres. Mais le contexte d’effets qu’a engendré la télévision ne peut épargner personne. Les adultes sont, eux aussi, fortement concernés. Mais ce n’est pas notre problème ici, au moins pas directement et à court terme.

 

Encore quelques généralités sur ce qu’il convient de faire

                   J’ai la prétention, ou la vanité, d’être sérieux en livrant le résultat de mes réflexions sur les effets de la télévision, et de le rester. Ainsi je pense qu’une transformation sérieuse de notre système éducatif, j’entends par là un nouveau départ capable de lui donner l’efficacité attendue, ne s’effectuera pas sur un claquement de doigts. Une réforme, même de grande ampleur, ne peut pas suffire. Surtout si elle est préparée et conduite selon des traditions bien françaises, c'est-à-dire d’une façon toujours aussi autocratique et technocratique permettant à la tendance au pouvoir d’y laisser son empreinte idéologique; quelquefois par des procédés très hypocrites quand le gouvernement s’efforce de faire glisser des pans importants de la formation et de l’éducation des jeunes vers le secteur marchand, sans aucune contrepartie, sous couvert de restrictions budgétaires. Ce qui, dans l’état actuel de notre école, ne peut qu’aggraver la dégradation de son efficacité. Mais de toute façon, l’état de notre système éducatif est aussi le reflet des blocages de la société française, de son attachement à des systèmes d’évaluation que la pédagogie récuse, comme la notation numérique, comme cette folie typiquement française des concours et des examens, comme cette culture de l’individualisme par la concurrence et la compétition dans un monde où les jeunes doivent pourtant apprendre à travailler ensemble, et posséder l’envie d’apprendre, le goût du savoir … Si bien que les exigences quotidiennes des parents, des intellectuels, des politiques de toute la société à l’égard de l’école sont de véritables contresens dramatiques par rapport à l’attente générale d’une plus grande efficacité. La société, l’institution, les enseignants doivent donc, ensemble, et très rapidement clarifier la question de la pédagogie dans l’action éducative, en commençant par s’entendre sur le sens de ce mot. La société française est en fait au pied du mur. Elle doit choisir entre l’avenir de ses jeunes, de tous ses jeunes, et son attachement à des traditions scolaires et culturelles qui globalement constituent maintenant un handicap très lourd. L’élitisme français, celui que la société française semble vouloir préserver, est franchement suicidaire. Une élite est certes nécessaire. Personne ne peut le contester. De toute façon toute prétention d’uniformiser les niveaux de formation ne peut être qu’une utopie.  Mais il faut admettre la réalité dans toute sa complexité. Une élite se détermine par rapport à un niveau moyen. Si ce niveau moyen baisse, comme c’est le cas actuellement, la formation des élites ne peut que s’affaiblir, qualitativement et quantitativement. Nous sommes donc évidemment face à un choix de société, mais aussi face à un pari sur notre avenir.

                   Tout le monde l’aura compris, je pense qu’une réforme efficace intégrant pleinement l’évolution nécessaire des rapports entre l’école et la télévision, c'est-à-dire une réforme permettant de faire de la télévision un outil de formation et d’éducation tout en neutralisant ses effets, passe par une reconnaissance de la place de la pédagogie dans l’action éducative. Nous n’allons donc pas tenter de présenter ici ce que pourrait être cette réforme. L’aventure serait trop périlleuse et, surtout, nous ajouterions une opacité inutile à notre étude des effets de la télévision. Elle n’en a pas besoin ! Nous allons simplement essayer d’établir une liste des mesures ou des orientations que je considère comme des réponses adaptées aux effets de la télévision, et dont la mise en œuvre peut être envisagée assez rapidement.

 

Le problème de fond est incontestablement  cette évolution des rapports aux langages.

 

                   Les exigences qui s’associent aux apprentissages de la lecture, de l’écriture, du calcul, des mathématiques, du dessin sont les mêmes depuis que ces outils existent. Elles sont dues à leur nature, et elles ne changeront pas. Elles concernent la mémoire, l’intensité de l’activité intellectuelle et le temps nécessaire notamment lorsque cette activité enchaîne des raisonnements. Elles concernent l’attention, la concentration et l’écoute, …, et aussi des procédures d’acquisition à respecter. Elles engendrent donc d’autres exigences fortes, très fortes, notamment au niveau des motivations et des prédispositions. Et c’est à ce niveau que se fait sentir la transformation des rapports aux langages, et que nos repères sont devenus obsolètes, vraiment obsolètes.

 

Que peut-on opposer aux effets de la télévision pour remotiver les élèves ?

 

                   Contrairement à ce que trop de personnes pensent, même permis les intellectuels, apprendre à lire, à écrire, à compter, …, sont des activités qui, avant l’arrivée massive de la télévision, pouvaient relever d’un besoin naturel. Car les maîtrises de ces savoirs étaient pratiquement les seuls outils d’émancipation culturelle accessibles au plus grand nombre. Depuis l’invention de l’écriture jusqu’à l’entrée massive de l’image de conception photographique dans nos vies, l’écrit s’est progressivement imposé comme l’outil d’émancipation populaire par excellence. Si bien que dans la première moitié du vingtième siècle les enfants, même jeunes,[1] étaient tous suffisamment sensibles à son potentiel d’émancipation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les enfants font, très jeunes et très rapidement, des découvertes à travers les images de la télévision, (ou des écrans), avant de faire lentement connaissance avec les pouvoirs de l’écriture, d’où l’émergence d’une véritable sensibilité à cette forme de découverte. Les motivations d’origine environnementale pour les apprentissages élémentaires ne sont donc plus les mêmes. Apprendre à lire, à écrire, à compter … toutes ces activités présentent maintenant, pour les enfants jeunes, un caractère très artificiel. Et je répète encore que la docilité n’est pas un facteur d’apprentissage efficace ; qu’elle ne l’a jamais été. Justement, tenter d’inverser l’ordre des découvertes, c'est-à-dire tenter d’interdire la télévision aux enfants jusqu’à ce qu’ils sachent lire correctement serait une véritable exigence de soumission. Pour l’institution cette interdiction serait ingérable politiquement, donc encore extrêmement élitiste et inéquitable. Mais elle serait aussi totalement irréaliste à l’égard de la qualité des apprentissages et de leur adaptation à l’environnement des enfants. Encore une fois, je mets donc en garde les familles contre les tentations individuelles allant dans ce sens. Elles ne peuvent engendrer que de mauvaises réussites, d’abord très incertaines, ensuite franchement illusoires car totalement décalées par rapport aux objectifs réels des apprentissages[2] dans le monde actuel. La pédagogie doit donc faire effectivement un important effort d’imagination. Il faut repérer les images de conception photographique qui apportent aux enfants un premier degré d’émancipation culturelle, de façon à en faire des outils de motivation pour l’apprentissage de l’écrit. Sur la durée, car nous savons qu’un apprentissage efficace de la lecture, et de l’écriture, ne peut pas être une affaire réglée en quelques mois. Et n’oublions pas que la pédagogie doit aussi s’emparer de façon durable de la question de la signification de l’écrit, car elle s’effectue maintenant par une transaction avec la réalité que l’image de conception photographique rend très complexe, de façon de plus en plus profonde et étendue. Toutes ces questions portant sur la motivation, sur l’intérêt pour l’écriture et, par incidence, pour le savoir savant, sur la transaction entre l’écrit et la réalité, auxquelles la pédagogie a trop longtemps refusé de s’intéresser sont donc devenues extrêmement pressantes. Il ne peut y avoir de solution miracle. De façon générale jusqu’à présent on a donné à tord trop d’importance aux savoirs qui s’énoncent au détriment des savoirs qui se pratiquent. Il faut rapidement faire l’inverse. Saisir l’image de conception photographique pour développer des motivations pour l’écrit, relève d’un concept éducatif donnant l’importance nécessaire aux savoirs qui se pratiquent. De la même façon saisir des travaux manuels et la pratique réelle d’activités artistiques, indispensables pour satisfaire d’autres exigences, notamment à l’égard des prédispositions, relève du même concept éducatif.

                   Malgré mon souci d’éviter les questions pédagogiques trop générales il me paraît difficile d’abandonner celle des motivations sans aborder un aspect important de la problématique de l’échec. Pour éviter un échec politiquement insupportable, l’institution n’a pas hésité à tailler dans les activités, dans les programmes, souvent au détriment des exigences internes aux procédures d’acquisition, c'est-à-dire aux fondamentaux des didactiques disciplinaires et interdisciplinaires. Elle n’a pas hésité à introduire, massivement, des enseignements sous forme de modules indépendants, tels que les statistiques en mathématiques, dont l’intérêt transdisciplinaire apparent est en réalité plus que douteux, qui n’apportent aucune formation de fond aux élèves, dont le contenu relève d’un véritable encyclopédisme, mais pour lesquels les enfants manifestent ouvertement des motivations faciles à satisfaire ; (pour les statistiques, la calculatrice est pratiquement incontournable). Même sur la question des motivations la  cohérence des programmes et des activités est fondamentale, et les adaptations nécessaires ne permettent pas de l’oublier. Or, l’institution s’est trop souvent lamentablement abandonnée à la facilité et à des visées à court terme. Sa rigidité ne permet pas d’espérer une correction rapide de ces orientations, mais les enseignants, en prenant conscience de leur caractère pernicieux peuvent en atténuer les effets de façon sensible. 

Comment agir efficacement sur les prédispositions ?

                   Dans la transformation des rapports aux langages il y a maintenant la question particulièrement préoccupante des prédispositions, c'est-à-dire de leur évolution récente sous les effets des images de conception photographique. Si nous voulons respecter un semblant d’ordre chronologique nous placerons en premier l’évolution des sens vers l’appréhension globale d’indices, au détriment d’une appréhension correcte du signe écrit. L’indice photographique est constitué de plages aux contours mal définis, alors que le signe écrit est fait de lignes fines dessinant des formes parfaitement définies. Le domaine du signe écrit est celui de la rigueur, alors que, par comparaison, le domaine de l’indice photographique est celui du flou. Ainsi je crois que dans cette situation il faut insister davantage sur l’importance du tracé, du dessin, du graphisme, sur la rigueur des formes pour les mettre en liaison avec le travail de mémorisation et ses servitudes. L’écriture n’est pas faite de choix arbitraires. Elle s’est élaborée en répondant à des exigences, souvent inconscientes, de la mémoire, qu’il faut mettre en avant dans les apprentissages. En mathématiques, par exemple, on peut mettre en avant une écriture de chacun des chiffres arabes associable à une collection d’angles, qui constitue déjà une traduction de la fonction cardinale du nombre. Cette voie ne se présente-t-elle pas aussi comme une ouverture vers la motivation ? Une ouverture qui ne peut être négligée. Elle joue sur la curiosité naturelle des enfants.

                   Or, aux motivations pour l’apprentissage de l’écrit une certaine « pédagogie » a trop souvent associé une psychologie de café du commerce. Nous savons bien, tous, que la personnalité d’un individu s’exprime à travers son écriture. Mais l’exigence de lisibilité ne peut pas échapper aux apprentissages fondamentaux, même si, évidemment, elle doit être  présentée, comprise et acceptée comme une éducation et non viol. La pédagogie, véritable, consiste effectivement à faire en sorte que l’éducation nécessaire ne soit pas ressentie comme une forme de violence, mais sans le moindre compromis à l’égard de la nature des apprentissages. 

                   Toujours dans cette question des prédispositions une de nos préoccupations pédagogiques majeures devrait concerner la lutte contre le besoin d’immédiateté. Je ne vois pas de solution miracle. C’est par une mobilisation constante, de tous les enseignants dans toutes les disciplines, jusqu’ à l’accession à un niveau de « maturité intellectuelle » suffisant, que l’école pourra s’opposer avec efficacité à cet effet typique de la télévision. Cette mobilisation doit se traduire par une exigence de présentation essentiellement écrite et développée des recherches, des raisonnements effectués, des solutions trouvées. C’est d’abord en mathématiques et ensuite plus généralement en sciences que les manifestations de ce besoin d’immédiateté sont particulièrement sensibles. Les mathématiques, réellement conçues comme des mathématiques, ont donc un rôle important à jouer dans la lutte contre ce besoin d’immédiateté, qui, en fait, est très déstabilisateur dans toutes les procédures d’apprentissages, et dans toutes les disciplines. A mon avis, les efforts des enseignants contre cet effet de la télévision doivent démarrer réellement au moins en CM2 et s’intensifier au collège, dès la 6ème. Une telle exigence est-elle compatible avec l’usage devenu excessif des questionnaires à choix multiples ? A mon avis ils doivent rester exceptionnels et être pratiquement bannis de la conduite quotidienne de la classe. En outre n’a-t-on pas à cet égard, cédé un peu trop facilement et un peu trop souvent aux sollicitations des enfants, pour différentes raisons, la facilité certes mais aussi et encore sous cette pression d’une psychologie de café du commerce que j’ai déjà dénoncé.

                   La question de la perception de l’espace et du temps est le dernier aspect de l’évolution des prédispositions à l’apprentissage des langages sous les effets de la télévision. Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai déjà écrit. A cet égard il n’existe qu’un seul moyen de s’opposer aux effets de la télévision : l’introduction significative d’activités manuelles et une réorientation des activités dans l’enseignement des arts plastiques. C’est une réponse à évolution des prédispositions au développement de la perception de l’espace et du temps qui satisfait aussi à d’autres exigences. Je vais donc faire de cette réponse aux effets de la télévision une mesure particulière.

 

Introduire de véritables activités manuelles, donner une plus grande place à l’expérimentation et réorienter les arts plastiques vers l’acquisition d’un savoir qui se pratique.

 

                   De l’école primaire au lycée, en adaptant les activés à l’âge des élèves, il faut redonner le plus rapidement possible à l’expérimentation la place qui lui revient, par de véritables activités manuelles et expérimentales dans les disciplines telles que l’éducation manuelle et technique, les sciences physiques, la biologie et la technologie. Parallèlement il faut aussi absolument donner aux activités artistiques, telles que les arts plastiques et la musique, un caractère moins intellectuel, beaucoup plus expérimental. Avec la pratique de la musique, par exemple, qui est à la fois un art et un langage, se mettent en place des schèmes communs à tous les langages. Et les motivations sont très fortes. Elles se manifestent souvent avant l’âge d’apprendre à lire et à écrire.

 

Introduire des activités permettant aux jeunes d’une part de se mettre en scène, d’autre part d’apprendre à « retourner » les images.

 

                   Il faut aussi offrir aux enfants des occasions de se libérer de se besoin de se mettre en scène que développe la télévision. Qu’ils apprennent à jouer sur scène, à monter collectivement des pièces de théâtre et à réaliser des petits films. C’est en faisant des images qu’ils apprendront à ne plus les subir, qu’ils apprendront à les déconstruire. Toutes les occasions de réaliser des enregistrements en vidéo ou en images fixes doivent être saisis pour être étudiés et analysés par le groupe concerné.

                   En amont de la lutte contre l’incivisme et la violence, donc de façon préventive, pour la gestion des comportements pourquoi ne pas essayer d’utiliser l’image, à des fins éducatives uniquement, c’est évident. Aujourd’hui nous sommes filmés partout, dans la rue, dans tous les endroits sensibles, et nous n’avons même pas accès aux enregistrements effectués. Pourquoi ne pas tenter de filmer la classe, le déroulement du cours ? Il est évident que la mise en place de caméras fixes et l’utilisation occasionnelle de caméras mobiles dans les salles de classe devraient être sévèrement encadrées, et l’accès aux documents ainsi réalisés limité au groupe concerné. Mais de telles orientations supposent une véritable révolution dans le corps enseignant.

Introduire une approche du film documentaire  

                   Cette approche devrait s’effectuer dans toutes disciplines directement concernées, notamment la biologie, la physique, l’histoire, la géographie. Elle doit porter surtout sur les films qui n’appartiennent pas aux circuits de distributions spécialisés pour la fourniture de documents scolaires, c’est-à-dire sur les films que les enfants peuvent voir en dehors de l’école. Le but est de leur apprendre à « démonter » le réalisme des images de conception photographique par le biais de quelques questions. Par exemple : le film a-t-il été réalisé à l’aide de mises en scène ou de reconstitutions ? Pourquoi ? Qu’elle est leur importance ? Quels sont les sujets traités ? Comment a été fait le découpage en séquences et leur assemblage ? Que dire de la qualité technique et esthétique des images et l’impact de ces facteurs sur l’attrait du document ? Je considère, par exemple, que les images réalisées par Yann-Arthus Bertrand, qui sont celles d’un photographe de métier, réalisées avec un matériel extrêmement sophistiqué et performant, sont beaucoup plus « séduisantes » que celles de Nicolas Hulot. Elles peuvent paraître plus réalistes, plus vraies, mais le sont-elles réellement ?

 



[1] Une terminologie semble s’être imposée : de 0 à 3 ans l’enfant est un bébé. L’enfant jeune est donc un enfant de plus de 3 ans, (à quelques mois près, évidemment). Puis à 12 ans, l’enfant peut être considéré, en général, comme préadolescent.   

[2] Je rappelle les réactions de nombreux intellectuels aux premières évaluations PISA. Cramponnés à leurs certitudes sur notre école, très déçus par les résultats des élèves français, ils ont commencé par critiquer sévèrement les tests. Depuis 2003 la France participe à l’élaboration des tests. Nous connaissons les résultats. Il faut bien se rendre à l’évidence notre système éducatif ne parvient pas à s’adapter à la modernité, et le pire serait que, collectivement ou individuellement, nous nous refermions sur nos certitudes et nous nous abandonnions à la tentation du repli sur soi et de l’isolement. Une tendance bien française.